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Pick-up, 7up et psycho-pop

 

 

Une édition de Clair sur l’identité, c’est inspirant. Mais déstabilisant aussi. Ceux qui me connaissent bien savent que je suis une fille de doute. Et en pleine turbulence identitaire, ce n’est pas les questions qui manquent. Je les traine dans ma boite de pick-up de location jusqu’à Québec. Un truck rempli d'introspections qui habitent l’espace, qui partagent la boite avec la beauté de ce que j’ai entendu et de ce que j’ai vu pendant 2 jours.

 

En conduisant, je me dis que ce qui est fabuleux à Clair, c’est la grande qualité des personnes, des conférenciers et des échanges. Du haut niveau. J’ai admiré ouvertement ou secrètement chaque personne avec qui j’ai parlée, chaque personne que j’ai écoutée. Je suis fan de tant de pédagogues depuis si longtemps. Audrey Miller serait fière de moi! De beaux humains qui contribuent à faire évoluer mes pratiques en classe, qui tracent la route, qui me font découvrir d’autres chemins ou qui covoiturent avec moi dans mes projets parfois un peu hors des sentiers battus.

 

Sur le chemin du retour, entre Clair et Pohénégamook, j’admire le givre sur les branches. Ça les fait scintiller. Mais ça les rend plus fragiles aussi. Je réfléchis à ma propre identité. Je ne me mentirai pas en partant. Je pense me connaitre comme enseignante. Et je pense aussi que vous me connaissez comme enseignante. J’ai énormément cheminé dans ce développement professionnel depuis 9 ans. Surtout grâce à Clair. Mais comme personne, j’ai des doutes. C’est le prix à payer quand la profession nous définit beaucoup. Beaucoup trop. J’ai souvent pensé que l’on naît enseignant. Que c’est dans nos cellules. Je descends la pente. Je serre le volant plus fort.

 

Parfois, je me retourne vers mes amies à côté, dans l'auto. Chacune plus forte que le gros camion. J'ai une gratitude infinie pour cette tribu. Une admiration sans borne aussi. Ma tribu, c’est ma ceinture de sécurité.  Et je regarde à nouveau les arbres qui penchent vers le sol sous le poid du verglas.

 

J’emprunte un chemin de contournement. Recalcul de l'itinéraire en cour. Myra dort à côté de moi. Belle. Satisfaite. Julie et Mylène jasent comme des soeurs à l'arrière. Reste à me concentrer sur la route. J’essaie d’avoir l’esprit léger. Mais c’est lourd une boite de Toundra 2019 remplie de syndrome de l’imposteur.

 

Et si je décevais tout le monde? Et si même dans mes textes, je les décevais? Le doute, c’est pas cute. C’est pas lumineux ça.  On est loin du billet sur le feu de chaque jour d’il y a trois ans ou de la lettre à ma fille. Et puis, j'écris pour qui? Pour moi d’abord? Même ça j’en doute aussi. Tous les enseignants que j’ai rencontrés ont besoin de valorisation et d’appartenance pour évoluer dans leur identité professionnelle.

 

“Je ne te pensais pas de même!”. Je l'entends par anticipation.  Mais je suis comment moi? Est-ce que quelqu'un peut m’éclairer. La fille au verre d'eau dans le Déjeuner des canotiers de Renoir. Celle qui observe les autres? La fille dont on oublie le prénom tellement de fois?  Celle qui ne parle pas assez fort? Ou qui trouve ce qu’elle va répliquer le lendemain, quand le débat est terminé? Celle qui pétille par les projets de sa classe? Celle qui n’ose pas commencé son foutu projet personnel parce qu’elle a peur d’échouer? Celle qui a des rêves si gigantesques pour l’école qu’ils ne rentrent pas dans la boite du pick-up?

 

Et mes passions personnelles...  Rien de plus silencieux qu’une photo? Rien de plus banal qu’un texte? Ça dépend. Des mots, ça peut faire beaucoup bruit. Mon crayon, c’est mon épée. Comme Jeanne D’Arc avait son épée. Et son désir de créer un mouvement, un changement.

 

Et si je n’étais bonne que dans une classe? Je viens de perdre l'orientation du chemin. Où est la prochaine sortie? J’ai chaud. J’aurais le goût d’ouvrir les fenêtres. Mais je ne veux pas déranger. Je ne veux jamais déranger. Je suis pris dans mon manteau. Myra tire sur une manche. Je me contorsionne sans grâce pour enlever l'autre toute seule. Voyons! Applique ta mentalité de croissance fille! Ressaisis-toi. Pense à Marie-Andrée Ouimet . Vas-y! T’es plus forte que tu le penses.

 

Je vois des gyrophares au loin. Un accident. J'immobilise le véhicule. Je m'immobilise. Enfin. J'espère que ce n’est rien de grave. Stéphanie Dionne nous écrit. Elle est dans la voiture à l’arrière. Elle sort avec son sourire grand et bienveillant comme la mer, comme une mère. Une bouteille de bulle cette femme! Je vais encore avoir une image qui va “poper”! Une image en superposition. Et moi, si je ne suis pas du champagne, je suis quoi? Non pas ça. Pas un 7up dégazé! C’est mon subconscient qui veut me tester.  Je l’ai pas vu venir, c'était dans mon angle mort. Je respire en fermant les yeux. Une autre image please! Non, pas un vin de dépanneur. Non, non, t’es un gin québécois fille. Celui fait avec des fleurs sauvages. C’est de la douceur qu’est née ta force. Ok, je visualise. Ça va mieux.

 

On reprend la route doucement. Avec prudence. Je me regarde dans le miroir. Maudit que je suis cernée. On va pas à Clair pour dormir. On va a Clair pour réfléchir, apprendre, s’émouvoir, réseauter.  Et manger des bonbons. On y va pour évoluer. 3920 km (280 km x 14 aller-retour depuis 7 ans à Clair). Ça en fait du chemin pour penser. Assez pour ajouter des points d’expérience ça Simon et Julie?

 

Pendant que j’essaie de faire des calculs mathématiques, je vois quelque chose au loin.  Je ralentie. Devant moi, je vois cette petite bête sauvage. Rousse. Elle traverse la rue en courant comme un enfant dans un parc un jour de vacance. Elle est libre.  Je suis émerveillée. Je vis de l’étonnement pur. Je jubile  comme une petite fille. Je me suis décentrée de moi. Un renard. Il est si beau! Si rare! J’y vois un signe là où d’autres ne voient que la présence de gibier dans le coin... Je suis tout sauf rationnelle.

 

Et si j’étais comme ce renard? Un leader a le droit d’être discret, à l'affût. Curieux. Parfois silencieux, mais centré sur l’autre. Amoureux d’art et de beauté de la nature (Un énorme merci  Chantal Larivière et Julie Mclean pour votre amour contagieux de la classe extérieure). Créateur. Libre. En mission sociale. Et je crois qu’il a le droit d’être vulnérable aussi dans cette belle et grande forêt où l'on peut facilement perdre son identité, sa nature propre. Je ne suis pas de ses leaders dans le moule. Je fais encore les choses différemment. Pas mieux, mais différemment. Ça demande plus d'adaptation, d’apprivoisement, de tolérance à  l'ambiguïté. Et de se remettre en question. On l'a répété, il faut se montrer curieux et courageux pour vivre des changements. On est rusé ou on ne l’est pas! Chaque accomplissement est le début du chemin vers le suivant.

 

Et surtout, on n'enseigne pas en dehors de nous-même. L'enseignante que je suis devenue, c’est beaucoup grâce à la personne que je suis. Façonner par les beaux humains que je rencontre. On est jamais seule quand on est soi-même. T’as bien raison ma belle amie. Je suis moi.

 

Enseignante

Élève

Humain

Apprentie

Sauvage

Fleurs

Artiste

Enfant

Mère

Branche verglacée

Renard

 

Le pick-up, le 7 up. Rien de ça ne me représente. Ce sera seulement ceux qui auront lu jusqu’à la fin qui comprendront mieux qui je suis. Ceux qui seront allés au-delà. Ceux qui auront pris le temps. Pour ce temps et cette importance que vous m’avez accordé, je vous dis merci. Je vous offre un verre de mon gin aux fleurs sauvages à Clair 2020. Santé à la personne que vous êtes!

 

Catherine (oublie pas mon nom:)

 

PS: Moi, je ne t'oublie pas Clair. Les bénévoles, les élèves, les enseignants, la communauté tissée serrée et Roberto qui prend le temps de saluer son monde, comme chaque fois,  à la fin. Touchant. Rassurant.  Clair, tu restes ma maison pédagogique. Merci pour tout!